Adrien Albert est un auteur-illustrateur formé aux Beaux-Arts et arrivé aux livres pour enfants après différents métiers, dont je suis le travail depuis longtemps. Tous ses livres ont été publié à L’école des loisirs avec son éditrice Anaïs Vaugelade. Ce sont surtout des albums jeunesse, depuis le premier Seigneur Lapin il y a une quinzaine d’année, en passant par Simon sur les rails, Papa sur la Lune ou Notre Boucle d’or, mais aussi des bandes dessinées avec Claude et Morino.

Dans ChocoTrain, l’on retrouve les personnages de l’enfant Chouchou et de sa grand-mère Mamie Georges de son précédent album, Chantier Chouchou Debout, paru en 2022, pour ce qui devient donc pour mon plus grand plaisir une série. Ici, la petite fille invite Mamie Georges à sa fête d’anniversaire avec pour mission de venir déguisée et de lui rapporter des ChocoTrain, gâteaux délicieux mais que l’on ne trouve qu’en wagon-bar. Voilà que la grand-mère remplit sa mission coûte que coûte, malgré les embûches, toutes plus absurdes les unes que les autres, qui se dressent sur son chemin. C’est qu’à peine déguisée, elle se rend compte qu’un babouin vert est en train de dépouiller le barman ligoté de tous ses gâteaux, babouin qu’elle prend en chasse jusque sur le toit du train et l’arrivée fort à propos d’un hélicoptère conduit par un caniche mauve et d’un mouflon paissant au-dessus du tunnel qui s’annonce…

Nous voilà embarqué.es dans un vrai récit d’aventures totalement réjouissant où la suite de rebondissements est menée tambour battant. Dès la première double-page, Mamie Georges saute dans l’illustration et l’histoire, pressée car en retard à la gare, comme sur la double suivante elle saute dans le train alors qu’il démarre. Le ton et le rythme sont donnés ! Puis voilà que les péripéties s’enchaînent à la vitesse du train qui défile alors que la grand-mère a enfilé son costume de clown comme une super-héroïne se préparant à l’action : un vol à l’étalage du wagon-bar, une course-poursuite haletante, une fuite en hélicoptère, un saut sur un mouflon sauvage qui passait par là afin de rattraper l’engin volant, et j’en passe ! Cela peut faire penser à de grands classiques du cinéma d’action, Mamie Georges devenant une sorte de Jean-Paul Belmondo courant sur le toit d’un train dans Peur sur la ville. Par le biais de l’album, voilà que l’auteur réalise comme un film à gros budget où tout est permis.

Adrien Albert dépeint ici un personnage de grand-mère totalement intrépide. Malgré son air de prime abord mi-sévère mi-ronchon, cela change des grands-mères souvent très classiques de certains albums. Ici, rien n’arrête Mamie Georges dans sa mission pour l’anniversaire de sa petite-fille, mission qui aurait pu être facile à remplir mais se trouve enrayée par de nombreuses embûches ne perturbant jamais le grand-mère. Le choix d’un personnage de grand-parent, fréquent dans ses albums, permet d’intégrer un adulte rassurant tout en ayant la fantaisie et la liberté que ne peuvent pas forcément s’accorder les parents alors plus dans une optique d’éducation de leurs enfants. Il y a là beaucoup d’amour, d’humour et de tendresse.

On peut voir dans cet album une sorte de mise en abyme du travail de l’auteur créant une histoire ou à tout le moins de l’adulte la racontant. Ici, Chouchou est la narratrice de l’histoire : elle raconte après coup toutes ces péripéties rocambolesques avec beaucoup de joie à ses ami.es venu.es à sa fête d’anniversaire. Elle-même n’est pas dupe que tous et toutes croient à ce qu’elle leur raconte mais cette sorte de magie prenant du fait même de raconter l’histoire devient comme un accord entre ces enfants. Ainsi, tous ces rebondissements fous se tiennent et font sens hors de tout réalisme par cette connivence, cet accord tacite entre Chouchou et les autres enfants mais aussi entre l’auteur et les lecteur.ices enfants et adultes. Par ce truchement, l’auteur nous convie dans cet univers enfantin réjouissant des successions de conséquences en chaîne absurdes, des « on dirait que » sans restriction du réel. L’on se retrouve dans une sorte d’écriture automatique très travaillée où la suite d’événements irrationnels devient presque logique et naturelle, et à tout le moins fort amusante. Cela en fait un délice d’album jeunesse où l’on retrouve, dès le titre, de nombreux sujets ou objets phares et jubilatoires de tant d’enfants, parce que pourquoi se limiter à un seul entre les déguisements, le train, l’hélicoptère, les animaux, les gâteaux au chocolat ou les grands-mères ? C’est excessif et foisonnant comme peuvent l’être l’imagination et les envies enfantines.

L’écriture d’Adrien Albert est factuelle et sobre, donnant une lecture plutôt courte et simple de l’album qui peut s’adresser à des enfants assez jeunes. Le texte est très travaillé pour arriver à cette forme de simplicité qui n’est pas aisée à obtenir, permettant de trouver rapidement le ton et le rythme adaptés à la lecture orale. Beaucoup d’humour se dégage du décalage entre cette sobriété et l’absurdité des situations ou personnages rencontrés, décalage hilarant autant pour les plus jeunes que pour les adultes lecteurs. On y retrouve ce qui fait l’essence de l’album jeunesse dans sa narration : un livre lu à voix haute par un.e adulte médiateur.ice à un enfant qui en parallèle en regarde les grandes illustrations et risque fort de demander de nombreuses relectures !

Le découpage organisé par l’auteur est précis et très intéressant, allant vers la bande dessinée dans une forme de séquentialisation par doubles pages avec des cases irrégulières propices à l’action. Cela donne un vrai rythme haletant au récit et renforce l’aspect cinématographique de l’aventure. Les textes en bas de pages, d’une typographie élégante créée par Guillaume Chauchat, laissent une place importante aux images dans le grand format de l’album presque carré. Les illustrations sont fortes et expressives, se rapprochant de la ligne claire avec des contours noirs tranchés et des aplats de couleurs vives et nettes, donnant un aspect cartoon aux visages très expressifs. Une grande fantaisie se retrouve dans les choix de couleurs pas toujours réalistes. Mais pourquoi être réaliste dans les couleurs alors que l’on met, par exemple, un caniche au volant d’un hélicoptère ? Un grand travail a été fait pour rendre compte de la vitesse et du mouvement dans ce train filant à vive allure, renforcé par la mise en place de cases et de séquences.

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